La regulation des services audiovisuels sur Internet : enjeux et problematiques

Texte extrait de la lettre du CSA de mars 1999


 

Dans le cadre de la préparation du sommet mondial des régulateurs de l'audiovisuel consacré à la régulation des services audiovisuels sur Internet, le CSA souhaite engager une réflexion préparatoire avec l'ensemble des instances qu'il invite à participer à ce sommet. Les thèmes abordés ci-dessous ne constituent en aucun cas une liste limitative. Certaines interrogations nationales ne se posent pas ailleurs, d'autres questions et d'autres formulations sont possibles selon les problèmes spécifiquement rencontrés dans chacun des pays. Ce sont précisément ces différences qui enrichiront la réflexion générale. Ce premier document de travail n'a donc pas d'autre ambition que de proposer une série de jalons indispensables à la mise en place d'une réflexion collective.

Le développement d'Internet place les régulateurs de l'audiovisuel face à de nouveaux défis : ce nouveau support de communication audiovisuelle donne d'emblée aux programmes diffusés une couverture mondiale, et semble donc, à première vue, les exonérer de toute réglementation nationale ou régionale. Or, l'amélioration de la qualité de la transmission des programmes audiovisuels sur Internet risque d'en faire un vecteur privilégié, qui sera concurrent des modes de diffusion classiques, qu'encadrent d'ores et déjà des dispositions légales précises.

Dès lors, les instances de régulation se trouvent devant une alternative claire : soit deux régimes fondamentalement différents perdurent selon que les services sont diffusés sur Internet ou par des moyens de diffusion classiques, soit un même régime s'instaure quel que soit le moyen de diffusion.

Dans ce dernier cas, deux écoles s'affrontent :
Soit c'est un régime de liberté sans frontière qui s'impose, et les politiques de soutien aux expressions culturelles nationales ou régionales ne peuvent plus tenir en matière audiovisuelle, de même qu'il devient difficile de continuer de garantir sur l'ensemble des supports audiovisuels les principes de contenu qui y sont souvent respectés et qui touchent le pluralisme, la protection de l'enfance, la diversité des opérateurs.


Soit c'est un régime analogue aux régimes juridiques appliqués aux autres supports qui est étendu aux services audiovisuels sur Internet, et il est alors nécessaire d'évaluer exactement les adaptations dont il doit faire l'objet, les principes qui doivent être retenus, et les moyens d'action dont doivent disposer, pour jouer pleinement leur rôle, les instances de régulation.
 

Cette réflexion ne prétend donc pas résoudre tous les problèmes liés au statut juridique des services proposés par Internet, qu'il s'agisse de problèmes fiscaux, des délits relevant des tribunaux civils ordinaires, du problème de la sécurité des transactions ou de la confidentialité des échanges, des différents systèmes de cryptage de l'information ou des problèmes de droits d'auteur. Ces problèmes trouvent ou trouveront leurs solutions au fil des négociations entre les instances nationales ou internationales qui en traitent, qu'il s'agisse des différents gouvernements, de la Commission européenne, de l'Organisation mondiale du commerce, de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), d'Interpol, des différentes sociétés d'auteurs… A chaque problème spécifique s'impose en effet un cadre de réflexion ou de négociation particulier.

Pour ce qui concerne les services audiovisuels diffusés sur Internet, les instances de régulation de l'audiovisuel paraissent devoir apporter leur pierre aux études qui sont actuellement menées, en tirant le plus grand parti de leur expérience propre. C'est donc pour progresser dans cette réflexion que sont proposés au débat de l'ensemble des instances de régulation indépendantes, dans une première phase de concertation, ouverte jusqu'au 15 mai, quelques éléments d'analyse qui reflètent dans ses grandes lignes la réflexion menée, en France, par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
 

L'Internet oblige-t-il à repenser le régime juridique de la communication audiovisuelle ?

Les services de radiodiffusion et de télévision sont d'ores et déjà présents sur l'Internet

Avec l'Internet, l'association du service de radiodiffusion et du poste de radio, celle du service de télévision et du téléviseur ne va plus de soi. A un service audiovisuel ne correspond plus son outil de réception.

Les logiciels de videostreaming (RealPlayer, Windows Media Player, Streamworks) permettent d'agréger l'image et le son aux textes alphanumériques et font de l'Internet un véritable support " multiservices " et non " multimédia ".

Les portails audio et vidéo (Broadcast.com' Videoseeker, Netradio' Spinner' comfm.fr…) rassemblent les chaînes de radio et de télévision, spécifiques ou non, présentes sur le Web.

Quelques milliers de stations de radio sont à ce jour accessibles en direct via Internet. Certaines stations sont spécifiques au Net, mais la plupart y sont simplement des radios hertziennes reprises en direct.

De même, plusieurs dizaines de chaînes de télévision du câble, du satellite ou diffusées par voie hertzienne diffusent simultanément en direct et en continu sur Internet (sur tous les réseaux Internet existants : réseau téléphonique commuté, câble, ADSL, satellite) mais avec toujours d'importantes difficultés de réception liées à la saturation du trafic. Comme pour les radios, il existe également des chaînes de télévision au format classique mais spécifiques au Net. Plusieurs centaines de chaînes de télévision proposent des archives audiovisuelles (journaux télévisés, séquences d'un magazine…) en accès gratuit. Plusieurs milliers de webcams filment et diffusent en permanence et en direct (ou avec un léger différé) des lieux publics, semi-publics ou privés.

Il convient sans doute de relativiser les prédictions alarmistes qui encombrent la description réaliste des phénomènes que doivent privilégier responsables et décideurs. Selon toute vraisemblance, la diffusion hertzienne terrestre des chaînes de radio et de télévision généralistes nationales continuera à agréger l'essentiel des audiences pour plusieurs années au moins, ces chaînes de radio et de télévision bénéficiant d'une sorte de rente de situation symbolique liée à leur légitimité historique. D'autre part, la présence simultanée de ces chaînes traditionnelles sur différents supports permet aussi leur pérennisation.

Malgré les progrès technologiques, l'importance des investissements économiques nécessaires pour moderniser les infrastructures de diffusion ne devrait pas permettre à court terme de développer des services de télévision à grande échelle sur l'Internet (ironiquement dénommé le World Wide Wait). Il n'en demeure pas moins que la radio sur Internet est déjà une réalité et que les instances de régulation doivent chercher à connaître au mieux les conditions et les délais de ce développement vraisemblable de la télévision via Internet.

Le perfectionnement des logiciels et l'impératif de la généralisation (particulièrement pour la vidéo) du haut débit, autrement dit d'autres infrastructures, pour le Réseau (quels supports dans 5 ans ?) demeurent indispensables au développement des services de télévision sur l'Internet. On annonce entre 1 et 2 millions d'abonnés sur le câble à haut débit aux Etats-Unis pour la fin 1999 ; les prédictions à 5 ou 10 ans varient dans de très larges proportions. Les instances de régulation doivent, elles aussi, être particulièrement au fait de l'actualité de ces évolutions, et les informations dont elles peuvent disposer pour ce qui concerne leurs pays respectifs sont toutes précieuses pour apprécier l'ampleur et la rapidité des phénomènes en cause.

Enfin, la question doit être posée de la différence qui existe et subsistera entre l'usage de la télévision regardée sur un récepteur pratique et l'usage de la télévision sur Internet, c'est-à-dire, au moins dans un premier temps, sur un récepteur habituellement dévolu à un usage informatique.

Les difficultés d'application de la régulation des services de radio-télévision sur le Réseau sont bien réelles

Les trois dimensions d'Internet, réseau international, polycentrique et évolutif rendent l'exercice de la régulation particulièrement complexe : le caractère international d'Internet paraît s'opposer aux cadres normatifs nationaux ; sa nature polycentrique rend problématique la nécessité d'identifier et de sanctionner les services et leurs responsables ; l'évolution perpétuelle du Réseau rompt avec le temps long de l'évolution législative, de l'instruction des dossiers…

Toutefois, il existe des pistes de réponses possibles qui varient selon les pays. Beaucoup d'acteurs soulignent d'abord, de manière assez prévisible, la nécessité d'accorder la priorité à l'autorégulation. Il apparaît donc opportun de dégager précisément le sens de cette notion qui peut être employée avec des significations assez différentes, selon les pays, et selon les traditions juridiques. Ensuite, le caractère international du Réseau n'implique aucunement l'impossibilité du droit, ni même celui du respect des législations nationales : il s'agit certes d'une difficulté redoutable mais des solutions juridiques ont été trouvées pour coordonner et faire respecter les droits nationaux, ne serait-ce qu'à travers des mécanismes d'exequatur. Des solutions se trouvent partout où elles sont nécessaires, en droit des transports par exemple ou en droit financier… Le contexte mondial du secteur audiovisuel lui-même implique depuis longtemps une réglementation internationale menée dans le cadre de négociations et d'accords bilatéraux ou multilatéraux.

La distinction des contenus illégaux et contenus préjudiciables constitue de ce point de vue une perspective à creuser : certains contenus parfaitement licites dans tel pays peuvent heurter les valeurs et les législations de tel autre. L'exemple des sites ouverts par des sectes illustre clairement ce problème qui mériterait sans doute d'être approfondi. Par ailleurs, certains gouvernements rappellent, par la censure effective du Réseau, qu'il reste à ce jour techniquement possible de brouiller, pour une zone géographique déterminée, l'accès de sites localement indésirables (firewalls, limitations des portes d'accès par pays…).

Dans la perspective d'une réflexion internationale sur les principes de régulation qui pourraient être retenus pour les services audiovisuels sur Internet, il apparaît indispensable, en préalable, de clarifier et d'uniformiser certaines notions et particulièrement celle de "convergence" et celle de "communication audiovisuelle".

On peut distinguer trois types de " convergences "

La convergence des réseaux de communication : l'utilisation indifférenciée d'un ensemble d'infrastructures de transport par des services de communication publique et des services de communications privées.
 

La convergence des services : offres communes de services de communication audiovisuelle et de télécommunications auprès des consommateurs.
 

La convergence des opérateurs : l'intégration, capitalistique ou contractuelle, horizontale et/ou verticale, interne ou externe, des opérateurs des réseaux et/ou des services. Le WWW fédère d'ores et déjà les opérateurs de contenus entre eux (information, communication, documentation), mais aussi les opérateurs de communications avec les opérateurs d'infrastructures (par exemple, l'offre de portails par des câblo-opérateurs). Les chaînes de télévision historiques investissent elles-mêmes vers le Réseau.

Chaque type de convergence pose-t-il les mêmes problèmes ou des problèmes distincts ? La distinction entre services et supports doit-elle disparaître, ou doit-elle au contraire être renforcée, là où elle n'existait pas, pour permettre de concevoir un cadre juridique adapté aux nouveaux médias ?

Les opposants à cette distinction juridique entre supports et services ne souhaitent-ils pas, avant tout, soustraire les œuvres culturelles (dont les services de communication audiovisuelle) aux protections juridiques nationales dont elles bénéficient (quotas, protection de l'enfance…) ? L'invocation presque magique de la " convergence ", justifie, grâce au flou de la notion, l'assimilation des services à leur support : le droit protecteur de l'audiovisuel disparaît au profit du droit économique des télécommunications et des règles du marché. Sur le modèle pionnier de la dérégulation américaine, le droit commun économique applicable aux opérateurs de réseaux (carriers) souhaite s'exporter à l'industrie des contenus… Est-ce légitime ? Est-ce souhaitable, dans la perspective d'une mondialisation des réseaux et de l'accès aux supports ? Est-ce dangereux pour la diversité des créations nationales, dans cette même perspective ?

Comment envisager le prolongement des cadres réglementaires existants pour les modes de diffusion classiques sur Internet ?

Plusieurs points peuvent être soulevés :

La réglementation traditionnelle des services de radiodiffusion ou de télévision doit-elle être conservée sur Internet ? Faut-il n'en conserver qu'une partie (par exemple concernant la protection de l'enfance ou de la dignité de la personne, ou les programmes violents ?) et assouplir cette réglementation traditionnelle sur d'autres points (s'agissant par exemple des quotas de diffusion des œuvres audiovisuelles qui existent dans certaines régions du monde…) ?
 

Comment opérer la qualification précise des différents services qui se développent sur Internet, et juger des cadres juridiques qui s'y appliqueront (télécommunications et donc correspondances privées, ou communication audiovisuelle, ou encore presse écrite, ou vente par correspondance, ou droit commercial…) ?
 

Faut-il qu'une même instance soit globalement responsable de réguler l'ensemble des services offerts par Internet, et à quel niveau (national/international, public/privé), ou faut-il que les instances responsables de chaque catégorie de services, et chaque pays, soient parallèlement responsables aussi pour le prolongement de ces services sur Internet ?

De cet ensemble d'interrogations découlent un certain nombre d'enjeux juridiques dont l'étude est esquissée différemment selon les pays.
 

Comment articuler les champs de compétences sur l'Internet ?

La compétence des instances indépendantes de régulation dans le monde se réduit souvent aux services de radio et de télévision, mais elle peut aussi aller bien au-delà, à tous les services de communication audiovisuelle, ou de communication tout court. Si l'on s'en tient aux dénominations officielles, les domaines de compétences de ces institutions s'exercent du plus restreint au plus large : sur " la radio-télévision ", " l'audiovisuel ", " l'information ", " la presse ", les " médias ", la communication " publique " ou " sociale ", la communication et les télécommunications. Pourtant même celles qui ont les compétences les plus larges articulent des règles et des principes différents aux divers types de services qu'elles sont chargées de réguler, et c'est de cette expérience qu'il est possible de partir pour envisager l'articulation des compétences sur Internet.

L'hypothèse française : articuler les compétences selon la nature des services ?

La réflexion en cours en France aboutit à la conclusion que la définition du champ de compétences des autorités de régulation sur l'Internet doit s'effectuer selon la nature des services (commerce électronique, newsgroups, services audiovisuels, e-mails…). Dans cette perspective, il n'existerait pas nécessairement un unique régulateur de l'Internet, dans la mesure même où sont véhiculés plusieurs types de services : communications privées, commerce électronique, communication " publique " ou " audiovisuelle " ou " sociale ", etc. La plupart de ces services préexistent à l'apparition du Réseau, d'autres nécessitent une adaptation à ce nouveau support (vente à distance), d'autres encore sont spécifiques à l'Internet mais peuvent être rapprochés de tel ou tel service qui préexistait hors réseau (newsgroups, forums, e-mails).

Or, il apparaît que dans la plupart des démocraties, une régulation spécifique indépendante régit les services audiovisuels. La même instance sera-t-elle aussi responsable de la régulation des services audiovisuels sur Internet ?

En France, aux termes des dispositions de la loi de 1986, la définition de la communication audiovisuelle est particulièrement extensive : " On entend par communication audiovisuelle toute mise à disposition du public ou de catégorie de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ". L'article 1er stipule que " le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendante, garantit l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle dans les conditions définies par la présente loi ". Cette définition semble suffisamment large pour pouvoir englober toutes les formes de pages Web mises à la disposition d'un public indifférencié.

Un rapport du Conseil d'État a donc suggéré une adaptation possible de la législation existante : " (…) de même que le CSA ne régule pas aujourd'hui la presse ou la télématique, il paraît peu adapté de confier demain à une seule autorité le soin de contrôler les contenus audiovisuels, la publicité sur tous les supports, la presse et l'ensemble des contenus mis en ligne. Il va en revanche de soi que des services de radio ou de télévision sur Internet devront rester de la compétence de l'autorité chargée de contrôler les programmes audiovisuels. Dans le cas de l'Internet, qui ne relève pas d'une logique traditionnelle de diffusion, il semble préférable de s'orienter vers la combinaison d'une corégulation avec les professionnels, sous contrôle du juge, pour encadrer les services propres au réseau, et de la régulation habituelle des services traditionnels concernés " .

Qu'est ce qu'un service audiovisuel ?

On ne saurait retenir la définition sommaire du service transmis au consommateur final par un poste de télévision : la convergence des services sur un même support, la télévision sur un terminal Internet ou l'Internet sur la télévision (WebTV), engendrerait logiquement, de ce point de vue, la fin de la régulation des services de télévision. L'arrivée d'Internet sur le poste de télévision est d'ores et déjà un fait. Dès 2000, 16% des terminaux Internet pourraient être des postes de télévision ou des terminaux spécifiques. L'usage du téléviseur est rendu possible par les décodeurs Internet (400 000 WebTV de Microsoft seraient en fonction aux Etats-Unis). D'autres types de terminaux Internet sont à l'étude.

La définition classique retenue en droit français pour distinguer ce qui est service audiovisuel de ce qui n'est pas service audiovisuel est fondée sur la définition juridique stricte de la correspondance privée. Est donc un service de communication audiovisuelle toute communication de son et/ou d'images animées n'ayant pas un caractère de correspondance privée.

S'il y a correspondance privée, le droit qui s'applique impose à la fois le secret des correspondances et une totale liberté des contenus exprimés, libres également de tout droit. En revanche, s'il y a communication audiovisuelle, il y a application des réglementations concernant le droit d'auteur, et la dimension sociale de la communication audiovisuelle impose aussi des règles de contenu précises (protection de l'enfance, encadrement des programmes violents, pluralisme des émissions politiques, droit de réponse mis en jeu…).

Cette définition extensive des services de communication audiovisuelle (tout ce qui n'est pas correspondance privée, adressée à un interlocuteur particulier et en fonction de lui) conduit potentiellement le droit français à qualifier de "services audiovisuels" la plupart des services disponibles sur Internet. En va-t-il de même dans les autres pays ?

Il est souhaitable de s'interroger sur la définition particulière qui doit être retenue dans le cas particulier d'Internet : tous les services associant son et/ou images animées sur Internet sont-ils effectivement des services audiovisuels ? Doivent-ils tous être prioritairement du ressort du régulateur de l'audiovisuel, ou certains d'entre eux doivent-ils être réglementés par le droit commun, le droit de la concurrence, le droit de la vente par correspondance, le droit commercial classique, le droit bancaire… Par les instances chargées d'appliquer ces droits ?

La légitimité du régulateur de l'audiovisuel à intervenir sur un secteur donné repose en effet sur la dimension sociale de la communication audiovisuelle, qui vise un public. Le besoin social est-il du même ordre sur tous les services d'Internet ? La garantie de l'honnêteté des informations, par exemple, s'impose-t-elle à tous les services Internet ? Comment l'assurer ? Ou ne s'impose-t-elle que sur des services audiovisuels de même type que les services classiques connus en radiodiffusion hertzienne analogique ? Et comment définir alors de manière simple et claire les services auxquels cette garantie s'applique et dont les informations qu'ils communiquent sont a priori fiables ?

Une première piste, pour parvenir à une définition restrictive des "services audiovisuels sur Internet" pourrait ainsi délimiter un champ de compétences plus précis pour les régulateurs de l'audiovisuel : "Les services audiovisuels sur Internet transmettent en temps réel ou quasi-réel un flux de son et/ou d'images animées à destination d'un public indifférencié".

Une telle définition permet, pour partie, de fixer la compétence par défaut d'une autorité de régulation audiovisuelle indépendante. Certains contenus audio et vidéo d'Internet s'apparentent alors à des services de radio et de télévision, au même titre que ceux diffusés par voie hertzienne, par câble ou par satellite ; d'autres non.

La visioconférence, par exemple, ne relèverait pas du service de télévision dans la mesure où elle s'adresse à une ou plusieurs personnes nommément distinguées et auxquelles très précisément les messages communiqués sont adaptés. Il n'y a plus "public indifférencié".

Il reste ensuite à décider si le fait pour l'utilisateur/spectateur d'accomplir un acte d'achat pour accéder à un programme suffit à le transformer en "public spécifié et individuel" et délivre le service qui lui offre ce programme des obligations diverses applicables à des services audiovisuels adressés à un "public indifférencié".

Telle n'est pas, jusque-là, l'interprétation française qui considère la vidéo à la demande (VOD) et le paiement à la séance (PPV) comme des services audiovisuels, dans la mesure où le même programme est offert en direction de tout utilisateur potentiel. La frontière de l'identification du public à travers son acte d'achat devra-t-elle être considérée sur Internet, ou au contraire le fait que tout spectateur ou tout public soit déjà systématiquement identifiable par son acte de connexion fera-t-il disparaître cette distinction, confirmant ainsi l'interprétation française ? La question mérite d'être posée.

Sur ce point et d'autres prestations composites liées à la convergence des services, la compétence de l'instance de régulation des services audiovisuels devrait sans doute être clairement précisée et délimitée par le législateur, en vue d'une complémentarité optimale avec d'autres instances de régulation, comme avec les instances judiciaires.

En l'absence d'une telle clarification, la convergence des services risquerait de poser de plus en plus de difficultés au régulateur des services de radio et de télévision : les radios actuellement diffusées sur le Net vivent des bandeaux et des pages de publicité mais aussi de plus en plus du commerce électronique ; d'ores et déjà, il est possible, sur le site de certaines radios, d'acheter à distance le disque écouté en direct par un simple mouvement de souris. Aux recettes radiophoniques plus traditionnelles s'ajoute un nouveau métier de distributeur.

Qu'en est-il des milliers de Webcameras immédiatement accessibles sur le réseau sans garantie d'authentification du type de spectateurs ?

Reste aux législateurs nationaux, aux instances internationales, à l'opinion publique, au débat politique… à répondre à ces questions nouvelles, à préciser les contours de la liberté de la communication audiovisuelle, donc au champ de compétence de l'instance de régulation face au développement d'Internet. Une piste possible consiste à tenter d'établir une répartition des fonctions dans les médias en ligne.

Une fois admise l'existence d'un droit spécifique (soustrait au droit commun) des services audiovisuels, mettant en jeu un certain nombre de principes qui portent sur leur contenu, et une fois admise l'existence de ces services sur l'Internet, la compétence de l'instance de régulation des services de radio-télévision ne s'impose-t-elle pas ?

La définition d'un responsable éditorial d'un service audiovisuel sur Internet semble indispensable

La régulation des services audiovisuels sur Internet comme de tous les services de communication audiovisuelle suppose d'établir les natures juridiques de l'émetteur, du récepteur et du contenu. Mais il faut peut-être aller plus loin. On peut chercher à identifier les différentes fonctions à l'œuvre dans la communication audiovisuelle, quel que soit le support et leur donner un statut spécifique : producteur, éditeur, ensemblier, distributeur, opérateur technique… Dans cette approche, il est possible que la fonction centrale, impliquant une double responsabilité vis-à-vis des producteurs et vis-à-vis du public, soit celle d'éditeur.

La confusion des rôles, des acteurs, des fonctions, des métiers, des domaines juridiques… de l'Internet tient à sa genèse. L'histoire de l'imprimerie, de l'édition et des médias en général en témoigne : le développement d'Internet engendrera, selon toute vraisemblance, une division du travail et une spécialisation des fonctions et des sites rapprochant le Réseau du modèle actuel de la presse traditionnelle.

L'identification des responsabilités n'est pas neutre économiquement, puisqu'à la question de la responsabilité juridique s'ajoute celle de la responsabilité commerciale des services.

Le droit devrait distinguer clairement les acteurs et les responsabilités, en identifiant notamment pour chaque site une personne physique ou morale responsable des enjeux sociaux de la publication.

On peut alors envisager tous types d'actions coordonnées visant la responsabilisation des acteurs, dont une classification des sites afin par exemple de parvenir à la généralisation d'une signalétique internationale simple et claire capable d'aviser, pour mieux les préserver, certaines catégories de public et particulièrement les enfants.
 

Les instances de régulation indépendantes sont-elles fondées à participer à la régulation des services de communication audiovisuelle sur l'Internet ?

L'Internet introduit certes un nouveau support, mais les problèmes qu'il soulève sont-ils tellement neufs ?

Le législateur et les juges, dans toutes les démocraties mais de manière différente, ont d'ores et déjà apporté, ou sont en train d'apporter, les principales réponses aux difficultés propres à la conciliation de la liberté de communication sur Internet avec la protection des enfants, la sauvegarde de l'ordre public, la protection des consommateurs, la préservation des droits d'auteurs et droits de propriétés intellectuelles et commerciales.

La promotion des activités de nature commerciale sur Internet constitue une priorité essentielle, incontournable au niveau européen comme au niveau mondial. La plupart des initiatives de concertations ou de négociations qui sont prises visent donc à promouvoir le commerce électronique. Il en va ainsi des nombreuses initiatives de l'OCDE ou de la Commission européenne (Directive 98/48 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et règles techniques, actuelle proposition de directive relative à certains aspects juridiques du commerce dans le marché intérieur de l'Union européenne par exemple).

Beaucoup plus rares, jusque-là, sont les actions destinées à garantir les libertés publiques et individuelles (Livre vert de la Commission européenne sur la protection des mineurs et de la dignité humaine dans les services audiovisuels et d'information, et la Recommandation sur le même sujet). Il est clair pour autant que les instances de régulation des services audiovisuels ne peuvent faire l'économie, au minimum, d'un réflexion sur ces thèmes.

Bien souvent, les documents élaborés renvoient à une autorégulation par les professionnels eux-mêmes, qui est présentée comme l'instrument d'intervention le plus adapté. (C'est par exemple le cas du rapport du Conseil d'État français sur Internet et les réseaux numériques…) Il importe d'autant plus de définir le cadre, le but et le mode d'expression d'une telle autorégulation, qui recouvre des réalités bien différentes, d'une étude à l'autre, d'un pays à l'autre, d'un droit à l'autre.

Doit-on toujours opposer l'autorégulation et la régulation ?

Le culte de la liberté d'expression individuelle et celui de la seule loi du marché constituent une véritable idéologie d'Internet ; comme souvent, cette idéologie est opératoire dans le réel et freine la mise en place de mécanismes de régulation visant à limiter les infractions parfois lourdes de conséquences sur l'Internet. Il serait utile de clarifier les définitions, selon les pays : qu'entend-on par autorégulation, et quelle part de liberté y a-t-il pour les acteurs, quelle part de contrôle neutre (donc extérieur) de leur action ?

L'autorégulation exclusive paraît irréalisable pour au moins trois raisons :

D'abord la délinquance est inévitable et, qui plus est, préoccupante sur l'Internet.


Ensuite, les cadres juridiques nationaux s'imposent de toute façon et l'Internet ne saurait être un lieu de non-droit.


Enfin, l'autorégulation se résume trop souvent à la régulation effectuée par ceux qui occupent les positions dominantes dans un secteur d'activité, et elle peut, nolens volens, tendre à freiner l'accès de nouveaux entrants sur l'Internet en plein essor. Elle peut surtout limiter elle-même son impact dès lors qu'elle pourrait remettre en cause, même partiellement, les intérêts des principaux groupes opérateurs.

Dans l'expérience de la régulation audiovisuelle française, les approches en termes d'autorégulation et de régulation apparaissent parfaitement complémentaires. Le rôle d'une instance de régulation de l'audiovisuel consiste à accompagner la liberté de communication, à identifier les problèmes et à privilégier la responsabilisation des acteurs pour n'intervenir qu'en cas de manquement grave.

Nombre d'acteurs de l'Internet occultent, avec une bonne foi relative, qu'une raison d'être essentielle des instances de régulation indépendantes vise précisément à préserver leur propre liberté de communication de l'immixtion éventuelle de représentants de l'État ou de puissances économiques dominantes.

En outre, la peur de la censure constitue l'un des arguments les plus fréquemment évoqués. Or, le contrôle exercé par une instance de régulation sur les services audiovisuels est toujours un contrôle a posteriori, qui entraîne une meilleure responsabilisation, mais en aucun cas une censure !

En France, il faut noter que les acteurs de l'Internet sont soumis à un régime de double déclaration des sites audiovisuels sur Internet auprès du procureur de la République et de l'instance de régulation audiovisuelle nationale (le CSA). Dans tous les domaines, et conformément aux exigences naturelles d'un État de droit, la régulation audiovisuelle est effectuée dans le respect de procédures strictes et sous le contrôle du juge. C'est dans ce cadre que s'opère aussi le recensement des sites Web déclarés auprès du CSA.

Les instances de régulation créent, pour l'ensemble des services audiovisuels classiques dont elles s'occupent, les conditions d'un dialogue véritable et permanent entre tous les professionnels. Ne doit-il pas en être de même pour la régulation des services audiovisuels de l'Internet ?

Les justifications de l'existence d'une autorité indépendante de régulation des services de communication audiovisuelle légitiment-elles aussi leur droit de regard sur ces services de l'Internet ?

Si, dans la plupart des démocraties, le législateur considère que les services de radiodiffusion et de télévision relèvent d'un droit spécifique, soustrait au premier degré aux juges du droit commun, c'est notamment pour trois raisons, outre le problème, crucial pour les services traditionnels, de la rareté des fréquences disponibles :
Souveraineté culturelle : la communication audiovisuelle est réputée générer des effets puissants sur les opinions et les comportements. S'agissant notamment de production et de diffusion de biens culturels, il convient de veiller tout spécialement à la préservation des valeurs culturelles nationales (langue, tradition…).
 

Indépendance éditoriale et pluralisme des opérateurs : la liberté de la communication audiovisuelle et plus largement la liberté de la communication, doivent être préservées tant du contrôle abusif des exécutifs des États que de celui des opérateurs dominants sur les marchés.
 

Spécificités du secteur audiovisuel : les enjeux spécifiques du secteur audiovisuel supposent des compétences particulières aux " arbitres ", qui, le plus souvent, sont aussi des professionnels reconnus par leurs pairs. Elles rendent souvent inappropriées les solutions unilatérales et universelles, au contraire de la contractualisation au cas par cas, souple et évolutive, tenant compte des évolutions qui interviennent…

Ces justifications gardent-elles une pertinence et une actualité avec le développement de l'Internet ? Il est permis de le croire.

En outre, même si l'on considère le problème de la rareté des fréquences comme résolu par Internet, il est illusoire de penser que le Web ne pose pas de problèmes d'accès équitable à l'utilisateur pour tous les sites audiovisuels proposés. Il sera nécessaire de considérer le risque d'abus de position dominante des principaux portails dont on peut légitimement craindre qu'ils demeureront en nombre limité.

Comme pour tous les sites, les portails audio et vidéo sélectionnent et hiérarchisent les sites audiovisuels sans garantie formelle d'exhaustivité ou de respect du pluralisme. Les phénomènes de concentration verticale à l'œuvre dans l'industrie d'Internet peuvent notamment faire craindre que des portails, en situation oligopolistique, privilégient l'offre de sites audiovisuels appartenant aux mêmes groupes (ou à des chaînes de radio et de télévision liées contractuellement à ces groupes), ou plus largement que des langues et des cultures minoritaires sur l'Internet soient inégalement exposées et proposées. Ce sont des garanties que le régulateur de l'audiovisuel est habitué à apporter pour les services audiovisuels diffusés de manière traditionnelle : ne devra-t-il pas également les apporter sur le réseau ?

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Il n'est évidemment pas question de conclure, à ce stade de la réflexion, sur la place effective que le régulateur de l'audiovisuel se verra confiée par les diverses législations nationales dans l'encadrement réglementaire d'Internet.

Il est sans doute plus important, dans un premier temps, de confronter les analyses et les premières décisions prises dans chaque pays, afin de pouvoir en établir un recensement et une synthèse, en facilitant les échanges d'information et de réflexion sur ces thèmes.

L'apport des différentes expériences tentées par les autorités de régulation indépendantes de l'audiovisuel sera extrêmement précieux pour donner un cadre à la fois exhaustif et objectif à la concertation que nous souhaitons engager.

Nous sommes d'ores et déjà dans l'attente de votre appréciation sur les différents points évoqués dans cette note, et de votre expérience dans le domaine de l'adaptation des réglementations existantes à Internet, ainsi que de vos hypothèses ou de vos souhaits d'évolutions juridiques, que ce soit dans un cadre national, européen ou international.

Les services du CSA établiront, à l'intention de chaque instance qui répondra à cette invitation, une synthèse détaillée des réponses obtenues et des réactions, positives ou négatives, suscitées par cette analyse de départ. Cette synthèse pourra elle-même faire l'objet de discussions à partir du mois de septembre entre tous les participants.

Cette procédure ouverte apparaît en effet comme le meilleur moyen d'associer effectivement tous les participants au sommet à une réflexion internationale sur le rôle des instances de régulation de l'audiovisuel sur Internet, et sur les droits applicables à un ensemble de situations ou de services bien hétérogènes.